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JEUNESSE AUBOUÉSIENNE

C’était un temps où je regardais le futur avec excitation et curiosité. Le temps de mon enfance, de mon adolescence.

Né en 1945, je pense que j’étais l’enfant d’une nouvelle ère. La fin de la guerre a marqué le début de multiples révolutions tant techniques que psychologiques. J’ai grandi avec les « trente glorieuses «. La consommation de masse « est à la fois une cause et une conséquence de la croissance économique, une sorte « d’âge d’or ». Cela porte sur les biens de consommation durables – maison, voiture, appareils électroménagers – et le triomphe des « petites lucarnes ».

Le PNB mondial augmente comme jamais auparavant : 5 % par an. Meilleure scolarisation, hygiène et espérance de vie, mortalité infantile en baisse, vacances en congés payés. Ma génération Baby-Boom a créé une culture jeune : rock, musique yé-yé, Art et Culture au service de tous.

Pas de mixité à cette époque. La seule drogue que je connaissais, c’était le cinéma (films de gangsters, cow-boys).

Le progrès n’en finissait pas de faire des siennes. Cette époque n’était ni idéale, ni bénie. J’ai grandi avec une constance au travail. Il était difficile de ne pas suivre l’exemple des parents : la mine, l’usine. Pour les filles des emplois dans le tertiaire ou encore passage par l’École Ménagère. Les parents et les enseignants éduquaient les enfants parfois avec une rigidité maladroite.

A l’École Publique, que j’ai fréquentée jusqu’à l’âge de 14 ans, j’ai appris à vivre avec la liberté : fils d’immigrés et fils de français dans un même esprit.

J’ai grandi dans une cité de logements surpeuplés, jusqu’à 10 personnes dans chacun parfois avec un « pensionnaire ». On y discutait volontiers avec ses voisins.

A cette époque, on pouvait vivre au bas de l’échelle sociale et être heureux. Je vivais dans un quartier où l’amitié, le sport, la musique étaient des éléments de distraction gratuite.

Notre génération a été élevée à la dure et nous n’avons pas eu envie de reproduire le même modèle.

« CEUX DE 1945 » restent marqués pour toujours d’une extraordinaire grandeur « Général de Gaulle ». Dans notre région en particulier, la production industrielle est la locomotive de la croissance et absorbe un grand nombre d’actifs. Nous doublons cette production tous les 10 ans entre 1950 et 1975. La crise pétrolière de 1973 déclenchera un marasme économique dont les éléments étaient déjà en place.

Auboué n’est pas un village de villégiature et cela se voit bien avant que l’on franchisse le panneau d’entrée de la localité. Dans notre bourg, on travaille et, si l’on a coutume de dire qu’ll faut être né sur place pour pouvoir y vivre, il faut savoir que de nombreuses nationalités s’y côtoient. Ici, l’on travaille ou l’on cherche du travail. Dans un tel climat, les citoyens ne pensent pas beaucoup aux loisirs. Mais le dimanche, une grande partie du village oublie ses soucis grâce aux deux cinémas, aux bals et aux sports collectifs.  En particulier, le CSMA Basket (dans l’élite nationale). C’était au temps où Auboué enchantait par son basket d’exception. Toute une région s’identifiait à cette équipe composée de mineurs de fond et de métallurgistes.    

J’ai moi-même pratiqué le judo jusqu’à mon service militaire. Mais tout jeune, je rêvais d’aller     plus loin, de voyager, m’éloigner de la rue de Vaudeville. J’ai eu la chance d’avoir un frère aîné qui m’emmenait camper, surtout dans les Vosges et plus tard, évasion totale sur la Côte d’Azur pour découvrir des horizons nouveaux.

Je devais travailler plus ; le travail primait sur tout.

J’ai été formé au Centre d’Apprentissage SIDELOR d’Auboué pendant 4 années. Le lundi était jour de repos, donc temps libre pour travailler à la Maison du Vin à Auboué où je fus embauché à temps partiel en qualité d’électricien avant l’obtention de mon diplôme d’électromécanique et préparation travaux. Je n’y étais pas seulement électricien, mais appelé à une grande polyvalence de tâches.

Cette entreprise paternaliste fondée en 1922 par Monsieur Marcel Lagier qui a acheté un commerce très modeste qui deviendra un établissement important. Ses camions sillonnaient tout le Grand Est et même au-delà.

La société ne connaissait pas la crise, le patron menait son affaire de main de maître. Sa prodigieuse réussite a été exemplaire : ascension rapide avec un effectif de 120 personnes. Il a beaucoup donné, aidé grand nombre de gens comme l’embauche de plusieurs militants syndicalistes victimes de la répression patronale dans les grandes entreprises. Il appliquait un paternalisme respectant la législation à sa manière.

Mon principal responsable dans cette société fut le chef caviste qui demeurait dans un pavillon dont l’entrée est soutenue par une énorme bouteille de « Paul Robert – Haut Dahra 13 » et ornée d’une fresque allégorique, œuvre d’un amateur de grand talent.

Mon embauche fut très simple, dans une cave courant juillet. Quelques trous percés dans un mur à la massette, pattes de scellement pour tenue d’un châssis en vue de gerbages tonneaux servirent de test. La volonté de bien faire était déjà là.

Polyvalence de tâches :

Stockage de caisses, dépôts, embouteillage, lavage bouteilles.

 À quai, chargement camions, livraisons par tous les temps sur tout le quart nord-est de la France.

Réparations à la caisserie. Apprentissage en tous corps de métiers.

L’entreprise grandissait vite. Entretien général sur toutes les installations électriques en place et nouvelles. Dépannages.

Travaux de remise à sol nu des restes d’une ancienne scierie à Valleroy, pour une phase de construction de logements pour le personnel.

Une première sortie livraisons vers Nancy (le Haut du Lièvre) grandes barres de logements, énormes, à peine terminés, un travail de voltigeur sur un camion à entasser les caisses vides sur la plateforme.

2 heures du matin. Départ pour Paris, Villeneuve St Georges, Arcueil aux cidreries du Calvados puis chez Potez. Repas à Cézanes, retour 18 h 45.

Souvent des livraisons SGAF de Thionville, 600 caisses de vin.

7 heures, livraisons sur Hayange (Sté Ferrini). Verdun (caves St Paul) 500 caisses. Retour 18 h 30.

De temps en temps, une heure de travail supplémentaire au chargement pour le lendemain.

À cette époque les hivers étaient longs et très difficiles.

4 heures, départ pour l’Alsace, Katzental. Kaysersberg et Ingersheim pour se fournir en vins blancs. Repas au restaurant. Retour 19 h 30. Idem vers NIEDERMORSCHWIHR, AMMERSCHWIHR.

Souvenir d’un dépannage urgent. Départ 1 heure du matin, en route pour Mâcon. Au petit matin, réparation d’une pompe filtre à vin chez Duvernay, puis en ville chez Bichat (filtres). Retour Auboué. Remontage de l’ensemble. Travail terminé à 17 h 30.

Travaux divers, coulage d’une dalle béton de 40 m² environ à la Porcherie. Par la suite, toute l’installation électrique lumière plus force.

Réfection intérieure de cuves à vins. Grattage, piquage, rebouchage avec branthite KX. Remaillage.

Travaux de goudronnage et réfection d’une toiture au quai de chargement.

Travaux électriques : installation d’une centrifugeuse 4500T/mn, immenses cuves isothermiques. Filtres, lavage bouteilles. Une même machine procédera à l’emplissage, au bouchage, capsulage et à l’étiquetage des bouteilles.

Réfection éclairage à neuf au chargement.

Nouveaux bureaux tout en baies vitrées et électricité générale.

Un dimanche, toute la journée, changement d’un transformateur principal d’entrée plus révision d’un sectionneur principal triphasé ; maître d’œuvre EDF.

Branchement d’une nouvelle capsuleuse pour vins fins sur courant triphasé.

Travaux mécaniques au garage principal et soudures.

Réfection des réseaux électriques sur voie privée en gare d’Auboué (arrivage des citernes de vin de l’étranger).

Aménagements au magasin Hearinger à SAINT-AVOLD.

Travaux d’électricité en particulier les dimanches et lundis.

Cependant, les projets d’une nouvelle et plus performante Maison du Vin à Jeandelize n’aboutiront pas. Monsieur Marcel Lagier est décédé le 4 février 1972 à Bouchet (Drôme). L’entreprise ne survivra pas longtemps à son créateur.

De nos jours, c’est le personnel qui choisit son travail et non plus l’inverse. Les jeunes n’ont pas envie d’entendre parler d’un métier qui va voler leur vie, leur temps. Ils font leur loi. La pénurie de main-d’œuvre généralisée et la courbe démographique jouent en leur faveur, ce qui leur permet de renverser le rapport des forces avec les employeurs, de faire valoir des exigences de qualité de vie et de poser des conditions éthiques à leurs engagements de révolution sociétale en cours.

En recherche d’un nouveau métier plus en phase avec leurs aspirations, les salariés veulent un emploi qui respecte leurs valeurs et surtout leur équilibre de vie. Il faut dire aussi que la société énergétique est largement subie aujourd’hui. Dans les territoires ruraux ou certaines périphéries géographiques ou sociales, chez ceux qui n’ont pas les codes, l’intégration est difficile. Est-ce que le travail paie encore ? Pourquoi de plus en plus d’emplois ne sont pas pourvus ? Inéquations entre le lieu de travail et le lieu de résidence, salaires bas, logements très chers en ville, tous les domaines professionnels sont touchés.

Au final, ce sont encore et toujours les classes populaires qui sont lésées. Le télétravail n’est pas la panacée.

Pour ma part, je compte des années de travail positives pour ma carrière professionnelle et je profite de mes nouveaux horizons. Maintenant en retraite, je demeure toujours dans la Vallée de l’Orne où j’ai mes racines et tant de souvenirs.

Bernard Kaszewski

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