Tout le monde l’appelait Dédo, Dadou pour ses neveux et nièces… Il est une des figures aubouésiennes les plus connues et les plus respectées. Né dans une famille italienne arrivée en France 1 an plus tôt, il était le seul garçon entre 2 filles, Yvonne l’aînée et Fridée, sa petite sœur qui l’a toujours adoré !
Il est allé à l’école de la commune et il a obtenu son certificat d’étude avec mention très bien à l’âge de 14 ans. Bon élève, il aurait aimé continuer ses études mais ce n’était pas possible pour un jeune homme étranger et pauvre.
Quand la guerre éclate, Dédo a 15 ans. En 1940, il entre quand même à l’usine d’Homecourt au service laminoir. Il fera toute sa carrière dans cette usine à la cokerie en tant que maçon fumiste. Un métier très difficile, épuisant, qu’il exercera jusqu’à la retraite en 1980.
Il a raconté sa vie de petit rital à Auboué, en voilà quelques récits (bulletin municipal de novembre 2009) :
Comme une profession de foi préalable Alfred déclare ”je suis venu au monde ici en 1924, et je n’ai jamais quitté Auboué. Il y avait trois quartiers : le Tunnel, Coinville et Géranaux. Nous étions logés à l’étroit dans des maisons en forme de corons, avec WC à l’extérieur. Les familles étaient jeunes et avaient beaucoup d’enfants. Chacune disposait d’un jardinet, le lavoir était collectif et nous n’avions ni l’électricité ni l’eau courante”. Dédo se souvient de ce qu’il croit avoir été la devise non écrite de la société Pont à Mousson “il fallait être jeune, en bonne santé et pauvre. Pourquoi ? Et bien parce que contrairement à aujourd’hui il n’y avait aucune mobilité possible. Nous étions tenus par la mine ou l’usine et des sortes de ghettos avaient été construits pour avoir sous la main cette main-d’œuvre à 75 % d’origine étrangère. L’organisation et le confort de l’habitat étaient d’ailleurs fondés sur les catégories sociales allant du manœuvre à l’ingénieur. Nous avions, avant 1936, juste de quoi vivre”.
Pourtant et malgré ces conditions de vie précaires, l’enfant Rossolini garde le souvenir émerveillé de son singulier éveil à la vie “J’avais 12 ans quand le Front Populaire est arrivé. C’est l’origine de mon engagement militant. A l’époque les différents courants de pensée se disputaient la jeunesse. Il y avait le patronage catholique dont l’objectif était de fabriquer des êtres dociles acceptant l’ordre des choses. Il y avait aussi deux mouvements de gauche en direction des gamins. A Joeuf il était de sensibilité socialiste et à Auboué tout simplement communiste. C’est là que j’ai vécu mon enfance ouvrière avec entre 80 et 100 autres gosses.” Dédo se souvient comme si c’était hier des premiers jalons démocratiques comme “la mise en place de la section FSGT de foot à l’initiative de Mario Tinelli et les “Amitiés Républicaines” du député Philippe Serre pour les loisirs. On allait camper à Onville en vélo et il faut savoir que pour nous, partir de rien du tout, de n’avoir jamais de vacances, pour aller au camping, c’était magique. Au plan social, plus rien n’est comme avant le Front Populaire et les grandes grèves qui ont permis des avancées considérables. Avec les fortes augmentations de salaires obtenues, les premiers achats ont été possibles. Chez moi, mon père a acheté un poste de radio et un vélo. C’était le bonheur, surtout que tous les ouvriers avaient un meilleur niveau de vie. On se serrait les coudes et on était contents ensemble des progrès de tous. Nous étions solidaires entre nous, mais aussi avec tous ceux qui luttaient contre le fascisme et pour la liberté, comme les Républicains espagnols en faveur desquels les “jeunes Filles de France” d’Auboué se sont particulièrement investies.” L’enfance c’est encore pour Dédo Rossollini “le certif en 1938 comme but ultime de la scolarité, car à part quelques rares gamins, qui ont été admis à l’école normale pour devenir instituteurs, il n’y avait ni lycée ni collège pour personne. Quant au centre d’apprentissage, le patron recrutait le nombre d’apprentis par secteur d’activité et selon les besoins de renouvellement du personnel de la mine et de l’usine.” Dans chaque espace de la vie sociale la “Pontam” tentait de “façonner” le personnel dans le meilleur esprit possible. Mais chaque revers a sa médaille et comme le note Dédo “ Ils voulaient faire des ouvriers dociles, mais ils ont aussi fait des syndicalistes. J’avais 12 ans quand le Front Populaire est arrivé. C’est l’origine de mon engagement militant.” Quand la guerre arrive en 1939, le petit Dédo a 15 ans. Il ne sait pas encore que de terribles épreuves vont être imposées aux populations des zones occupées et interdites, particulièrement à celle d’Auboué, mais dit-il “tous ceux-là, les jeunes des associations progressistes de l’enfance et de la jeunesse de 36, on les retrouve dans la Résistance”. “Sempre in gamba” le petit rital devenu un vieux monsieur au regard toujours pétillant, voudrait léguer à la jeunesse d’aujourd’hui, que la société à bien des égards prive d’espoir, la fameuse certitude de notre grand Victor Hugo, afin qu’ils s’en emparent : “Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent”.
Pendant la guerre, il entre en Résistance au sein du réseau Paci. Arrêté par les allemands en août 1942 pour participation au sabotage du transformateur électrique d’Auboué, il sera condamné à un an d’internement par le tribunal militaire pour tentative de haute trahison et incarcéré dans les prisons de Nancy puis Châlons avant d’être interné au camp de Ville sur Tourbes.
Membre des FFI après sa libération, il obtiendra le statut d’interné résistant en 1967 suite à une bataille avec les autorités.
Durant sa carrière professionnelle, il sera membre de la CGT et même élu délégué d’atelier et délégué au sein du comité d’établissement. Il s’occupera aussi des colonies de vacances de l’usine d’abord comme moniteur puis comme directeur.
Au niveau politique, il fera partie de la liste de Jean Bertrand et élu conseiller municipal puis premier adjoint au maire de 1953 à 1977. Il fera beaucoup pour Auboué. Il est notamment à l’origine de la gratuité de la scolarité pour tous les aubouésiens, mesure qui a été conservée même avec le changement d’équipe à la mairie.
Très marqué par ce qu’il a vécu pendant la guerre et surtout par la perte de ses nombreux copains comme il disait, Dédo intègre la FNDIRP et sera le secrétaire de la section de Briey. Il fondera plus tard l’AFMD pour que la mémoire de tous ceux qui sont morts pour la France ne soient jamais oubliée. II témoignera dans les collèges de son expérience et sera parmi les correcteurs du concours annuel de la résistance.
Dédo a toujours été sportif et il a joué au basket à Auboué avant d’être vice-président du club.
Passionné par l’histoire et en particulier l’histoire locale, il sera vice-président des amis de l’histoire et membre du club. Il y a écrit un livre sur la résistance à Auboué et a participé à d’autres ouvrages.
Le 09 novembre 2014, il sera nommé au grade de Chevalier de la légion d’honneur, il sera enfin récompensé pour tout ce qu’il a fait.
Dans sa vie privée, il a été l’époux d’Elina pendant 70 ans et le père d’un fils Michel. Avec sa petite fille Sarah, il a été le plus merveilleux de tous les grands-pères ! Il a partagé tellement avec elle.
Ses 2 arrières petits-enfants lui ont donné beaucoup de joie et de fierté.
Sources :
- Alfredo Rossolini
- Sarah Rossolini
- mairie d’Auboué
Article écrit par Dédo en 2018 pour le site des AHA
Inauguration de la stèle des fusillés de la Malpierre.
Enfin, après des dizaines d’années de démarches, de réunions, de protestations, le nom des personnes qui ont été fusillées par les allemands au lieu-dit « La Malpierre », au cours de la guerre 1939-1945 figurent sur deux stèles au côté du monument existant qui a été inauguré le 16 septembre 1963.
Sur la liste de 63 patriotes, jugés et condamnés à mort par un tribunal militaire allemand, figurait 12 jeunes domiciliés à Auboué.
Elevés dans les cités d’un milieu populaire, ils ont passé leur adolescence pendant la période du Front Populaire ; c’est dans les défilés qu’ils se sont forgé un idéal qu’ils ont défendu jusque devant le peloton d’exécution.
Devenu adulte, c’est à l’usine ou à la mine qu’ils font leur entrée dans le monde du travail comme ouvrier. Pendant la guerre et l’occupation allemande, ils savaient que la production était envoyée dans les usines de guerre allemandes.
En 1941, ils sont contactés par un réseau de résistance qui s’est constitué à Auboué et ils font partie d’un groupe de FTPF – Francs-Tireurs et Partisans Français –qui sera chargé d’organiser des sabotages. En choisissant le transformateur de l’usine d’Auboué qui alimentait les mines du secteur, la résistance voulait entraver la production de minerai. Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, le sabotage du transformateur a eu lieu et l’opération fut réussie ; mais les conséquences furent moindres que celles escomptées. La fureur des allemands fut terrible. Dès le lendemain, des arrestations massives ont eu lieu. 20 personnes sont menacées d’être fusillées. Finalement, ce seront 62 otages de Meurthe-et-Moselle qui seront déportés à Auschwitz ; 12 seulement connaîtront la libération à la fin de la guerre. Sur cette liste, ce sont tous des militants syndicaux et des militants communistes.
Les policiers allemands et français qui menèrent l’enquête ont réussi à arrêter les auteurs du sabotage, qui seront jugés par un tribunal militaire allemand et condamnés à mort au mois de juillet 1942, pour « menées communistes et attentats » ; leur exécution eut lieu au lieu-dit « La Malpierre » sur la commune de Champigneulles. Mais leurs corps, qui ont été retrouvés dans les cimetières de
Nancy et des environs, ont été ramenés à Auboué et reposent dans un caveau qui fut réalisé pour eux à Auboué, surplombé d’un monument érigé à leur mémoire. ; des cérémonies du souvenir ont lieu chaque année.
Un autre combat, de longue durée, allait commencer en 1983 ; sur la stèle qui a été érigée à la Malpierre, on signale « ici les allemands ont fusillé » mais il n’y avait aucun nom des martyrs. Ce sont les anciens combattants de la Résistance qui entreprendront les premières démarches pour que tous les noms des fusillés de Meurthe-et-Moselle figurent sur la stèle existante. D’autres organisations ou personnalités prendront le relais : la Fédération des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes, les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation ont entrepris des recherches aux archives départementales et nationales et c’est Madame Claude Favre, professeure d’histoire et secrétaire de l’AFMD, qui rassemblera tous les renseignements dans un livre ; finalement, après de multiples démarches, c’est le Conseil départemental qui organisera la réalisation et l’inauguration d’un stèle avec le noms des 63 personnes fusillées à la Malpierre.
La cérémonie a eu lieu le 29 septembre 2018 devant une foule nombreuse ; les élus, des personnalités, ont rendu hommage aux communistes résistants, patriotes, morts pour la France, dont une majorité d’entre eux était étrangère.
Il est évident que certains ont lutté et péri pour défendre des convictions patriotiques épaulées par des convictions politiques précises ; il en est d’autres auxquels il est impossible d’accorder une politique quelconque. Ils n’ont pas été fusillés en répression de leur opinion, mais pour des actes de sabotage qu’ils ont accomplis.
Interview Alfredo (Dedo) Rossolini basketteur
Interview réalisée le 15.12.1999 par Jean-Pierre Favero, de Mr Alfredo Rossolini ( dit Dédo) né en France en 1924 basketteur à Auboué avant guerre et pendant la guerre. Syndicaliste, résistant interné. Vice-Président des « Amis de l’histoire d’Auboué ».
J-P F : Quand est arrivé votre père en France ?
A R : Mon père est arrivé en 1922 de Toscane, c’était un anti-fasciste. Il a traversé les Alpes à pied, est arrivé à Auboué, puis à fait venir ma mère et ma soeur qui est née en Italie en 1922.
J-P F : Quelle est l’origine de l’immigration italienne à Auboué ?
A R : Il y avait des Romagnols, des Toscans.
J-P F : Est-ce que les immigrés de l’âge de vos parents, qui sont nés à la fin du 19ème siècle, avaient une pratique sportive ?
A R : Les gens de l’âge de mes parents étaient anti-sportifs. Pour eux, le sport c ‘était une perte de temps, car après l’usine et la mine, les immigrés allaient cultiver leur champ afin de nourrir leur famille, mais pour eux, pratiquer du sport, c’était faire « le jeu des patrons ». J’étais un amateur de football tant que j’étais à l’école ; j’ai joué au foot, après je n’ai pas pu y aller, mon père ne voulait pas m’acheter une paire de chaussures de football, on ne dépensait pas de l’argent pour faire du sport.
J-P F : Comment s’est développé le sport à Auboué ?
A R : Tout d’abord par le patronage avant le premier conflit mondial, et une société de tir l’Avant-Garde. Après il y a eu « Les Gym d’ Auboué » qui était une société sportive dirigée par un ingénieur de l’usine. L’Etoile Sportive d’ Auboué a été créée en 1924 avec une section de basket crée en 1928 et une section football. Cette société s’est transformée en U.S.Auboué en 1936. La société Pont-à-Mousson était omniprésente dans la vie sportive, elle imposait les présidents, c’était des ingénieurs ou des cadres.
J. P F : Pouvez-vous me parler de l’équipe italienne de football d’Auboué du début des années 30 ?
A R : L’équipe italienne jouait aux friches des Tunnels, ils se changeaient en bas d’ Auboué au café Omicioli. Ils redescendaient et allaient se laver dans la rivière ( L’Orne). Ils devaient jouer contre des clubs italiens. Il y avait des rivalités entre le club italien et le club français d’ Auboué. Ils jouaient avec un maillot rayé rouge et blanc. A l’époque, il y avait beaucoup de spectateurs qui assistaient aux matchs.
J-P F : Quelles autres associations italiennes existaient dans les années 30 ?
A R : Il y avait le Mutuo Soccorso qui était une société de secours à laquelle adhéraient les ouvriers italiens. A la tête de cette société, il y avait des antifascistes qui étaient de grands orateurs. Je me souviens, lors des enterrements civils de la qualité des éloges funèbres. Comme ces anti- fascistes n’osaient pas s’exprimer dans la vie syndicale à la fin des années 20 de peur de se faire expulser, c’est dans le Mutuo Soccorso qu’ils le faisaient. Ces gens avaient une certaine éducation, ils aimaient le théâtre, la musique, parlaient de « La Tosca ». Ils avaient leur propre presse « Il Grido del Popolo » ( le Cri du Peuple ). Il y avait aussi une garderie d’enfants italiens ( asile infantile) qui existait déjà en 1908. Par contre, il n’y avait pas de Dopolavoro, contrairement à Homécourt. Ici, il y avait une grande majorité d’anti-fascistes qui sont arrivés massivement après la Marche sur Rome. Les sympathisants fascistes, eux, n’osaient pas exprimer leurs idées et n’étaient pas arrogants.
J-P F : Peut-on parler de liens étroits entre la mission catholique italienne à Auboué et le régime fasciste ?
A R : On ne peut pas aller jusque-là, la hiérarchie catholique sans doute affirmait son soutien au régime fasciste, mais à Auboué il n’y avait pas de terreau propice au développement de l’idéologie fasciste, comme c’était le cas à Joeuf Les anciens ici disaient que le curé italien de Joeuf avait été assassiné par un anarchiste parce-qu’il était trop proche du régime mussolinien. La maison De Wendel, par sa politique paternaliste, désirait que les Italiens aient une pratique religieuse, c’est pour cela qu’elle a fait venir un curé italien. A Auboué, concernant l’attachement des Italiens à leur curé, il faut comprendre le contexte de l’époque. Les pratiquants italiens tout d’abord ne voulaient pas assister au culte français et cela déjà avant 1914. Cela était dû aussi à la personne de l’abbé Kalbach qui était un nationaliste. On connaissait également les liens étroits qui existaient entre l’église et le patronat. En partant à la retraite, j’ai consulté mon dossier à l’usine d’Homécourt, il y avait une lettre du directeur de l’usine me concernant et j’ai su pourquoi je n’ai pas été embauché à l’usine d’ Auboué ; comme je n’allais pas à l’église, je n’avais pas ma place à l’usine. En étant gamin, je travaillais très bien à l’école, il a fallu la guerre pour que je trouve du travail en fabrication au laminoir.
J-P F : Y avait-il des activités sportives proposées par le patronage d’ Auboué entre les deux guerres ?
A R : Non, seulement du cinéma, du théâtre, des excursions
J-P F : Comment avez-vous vécu le sport à l’école ?
A-R : Ma génération a bénéficié de lois qui sont sorties durant le Front Populaire en 1936. On nous amenait « aux Friches », le terrain des Italiens, comme les instituteurs n’étaient pas préparés, on avait sport libre et on jouait au football pendant deux trois heures.
J-P F : Comment se passaient les récréations à l’école ?
A-R : On jouait à des jeux dans la cour de l’école, mais aussi aux cartes avec des jeux italiens comme « La Scoppa ».Les Français aussi jouaient à ce jeu comme on était majoritaire à l’école primaire d’ Auboué.
J-P F : Comment avez-vous vécu le Front Populaire ?
A-R : Avant 1936, les Italiens et les Polonais dans les cités n’osaient pas bouger. Après 1936, on a senti une différence spectaculaire ; le 1er mai, toute la population de la vallée de l’Orne a défilé, il y avait 20.000 personnes dans les rues. On chantait « Avanti popolo alla recossa , bandiera rossa triomferà ». Nous les gosses à Auboué, on était regroupé dans une organisation d’obédience communiste française « L’Enfance Ouvrière » . C’était pour contrebalancer l’influence de l’usine qui dirigeait tout. On était habillé d’un short bleu foncé, d’une chemisette blanche avec une étoile rouge. On était une cinquantaine, on participait aux manifestations du 14 juillet. Ensuite on est allé à la source d’eau chaude, le rapport des gardes de l’usine a écrit à ce sujet le 13.09.1937 : « J’ai appris qu’une trentaine d’enfants dont les parents sont connus pour des idées avancées sont allés en excursion à la fontaine d’eau chaude sous la conduite de Mr Pederzzoli quartier où se trouve le siège du syndicat ». Un Italien Tinelli (responsable de la résistance quatre ans plus tard) était un des responsables de cette association où Français et Italiens étaient mélangés.
J-P F : Comment s’est passée la vie sportive après 1936 ?
A-R : Les Italiens, qui étaient déjà majoritaires dans les équipes de football, ont adhéré massivement à ce sport. Equipe 1937-38 : Zani, Zambianco, Brogi, Assirelli, Madolosso, Tozzo, Rossi, Fiorani, Bianchi, Belucci, Muggeo.
J-P F : Est-ce qu’il y avait une vie sportive pendant la guerre à Auboué ?
A-R : Il n’y avait que du basket, la vie sportive s’est vraiment ralentie. Avant la débâcle, la direction de l’usine d’ Auboué avait donné l’ordre au personnel d’aller se réfugier au centre de la France ; après, pendant la guerre de nombreux Français en âge de jouer ont été faits prisonniers. Au début de la guerre, c’était une équipe d’apprentis de l’usine qui jouait ; parmi eux, tous des jeunes italiens : Baleani, Marchiando, Marchionni, Zanelli, Bernardi, Perrini, Magrinelli, Leornardi, Turchi. L’équipe d’avant-guerre, qui était une des meilleures équipes de Lorraine, a redémarré en 1943 car, suite à un conflit avec un dirigeant de l’usine Maurice Pichon, l’entraîneur de l’époque avec l’équipe au complet est allé jouer à Homécourt où ils ont gagné en 1942 la Coupe de l’Echo de Nancy ( Coupe de Lorraine).L’équipe d’Auboué a de nouveau remporté la Coupe de l’Echo de Nancy en 1944.
J-P F : Quelle a été la place des jeunes sportifs italiens dans la résistance ?
A-R : Dans la résistance, ce sont les jeunes qui sont les plus audacieux, forcément c’était tous des sportifs. Ont été fusillés Aldo Giagnoni ( boxeur) , Libero Brogi ( footballeur), Orlando Garatoni( footballeur) , Franco Fiorani ( footballeur ) est mort au combat, Dario Merigiolla est mort en déportation, Carlo Dallavalle (footballeur ) a été déporté, Ricardo Introïni Riccardo déporté, Armando Rossi ( footaballeur ) déporté, Mario Tinelli ( footballeur) déporté, Alfredo Rossolini ( basketteur) interné.
Permettez-moi moi tout d’abord d’avoir une pensée pour Mme Rossolini récemment disparue que Dédo a vite rejoint. Parler de Dédo pourrait paraître facile tellement il y a à dire sur ses multiples implications à la vie Aubouésienne, à celle de notre bassin et bien au-delà. Et ce dans des domaines aussi diversifiés que sont le sport, la jeunesse, le syndicalisme, la politique et bien sûr tout ce qui résulta de son engagement dans la résistance, une liste non exhaustive.
Pas si simple en fait, car il ne s’agirait pas de lui faire offense, lui l’homme de l’ombre.
Avant de l’appeler Dédo et de le connaître plus personnellement, je disais Monsieur Rossolini. Je mesure combien ce vocable Monsieur est mérité.
Dédo, c’est la résistance Aubouésienne, c’est le basket Aubouésien qui nous a fait nous découvrir. C’est aussi la vie municipale Aubouésienne avec la victoire de ses convictions politiques en 1953 et sa qualité d’adjoint au maire jusqu’à l’aube des années 80. Il fut en particulier l’initiateur de la gratuité des fournitures scolaires à ses jeunes concitoyens dès cette date. Une famille politique endeuillée le jour même de son décès par la disparition d’une autre figure locale en la personne de Michelle Bertrand-Chechetto.
Dédo, c’est un Aubouésien incontournable du siècle passé, intarissable sur l’histoire d’une ville qu’il n’a jamais quittée. Combien de fois ai-je orienté vers lui des personnes en quête de renseignements, sûr de la source que je leur indiquais.
La naissance du glorieux basket Aubouésien, la vie municipale de sa cité, mais avant tout cet engagement dans la résistance et cette indéfectible fidélité envers ses camarades victimes de nazisme.
Dédo interné en raison de son jeune âge a vu ses copains fusillés, déportés.
Engagé au sein de la FNDIRP et de l’AFMD, il a accompli longtemps son devoir de mémoire envers les plus jeunes par ses nombreux témoignages. Mais surtout, jusqu’au bout il a agi pour lever l’anonymat entourant la Malpierre, lieu d’exécution des résistants.
Un combat de plus de 50 ans jalonné de profondes déceptions, mais un combat auquel il n’a jamais renoncé.
Je revois nos réunions en préfecture et leurs brutales fins de non-recevoir. Mais je revois aussi cet ultime rendez-vous avec le ministre aux anciens combattants en janvier 2015. Un rendez-vous signe d’espoir et d’aboutissement. Ses longues démarches, son long combat n’allaient pas rester vains. Si bien que je nous revois regagnant le site de la Malpierre ce matin de septembre 2018 pour enfin l’inauguration des stèles nommant ses copains comme il les appelait.
Je revois sa joie contenue, son soulagement et la satisfaction du devoir accompli envers leur mémoire.
Son parcours éclectique lui a valu maintes distinctions, pas des moindres, mais sur lesquelles il ne s’attardait pas, ce n’était pas son genre.
Toutefois, il y en a une que je voudrais mettre en exergue, tant pis si cela doit constituer une entorse à sa modestie, lui qui d’ailleurs s’en est allé le jour de la Saint-Modeste. S’il est une distinction qui ne souffre aucune contestation, c’est bien son élévation au grade de chevalier de la Légion d’honneur.
À titre posthume, je lui décernerais bien une supplémentaire; celle de la reconnaissance de ses pairs, car j’ai rarement vu une personne faire si souvent l’unanimité autour d’elle.
Pour ce que tu as donné, respect et merci Monsieur Dédo.
Fabrice BROGI, maire d’Auboué
C’est avec une grande tristesse que nous rendons hommage à notre ami et camarade Dédo Rossolini. Né le 26 janvier 1924, il a épousé Elina de Joeuf, malheureusement décédée le 12 février 2021 avec laquelle il a partagé les responsabilités familiales. Ils ont eu un fils, Michel, qui a eu une fille Sarah et deux arrières petits-enfants, Éva et Théo.
La perte cruelle de la maman le 12 février et du papa le 24 février si rapprochée est une douloureuse épreuve. Dans cette circonstance pénible, tout notre soutien et sympathie a toute la famille.
Fils d’immigré italien anti-fascistes Dédo entre en résistance dans le groupe Paci, ayant pour mission de faire des inscriptions à la chaux de nuit anti-nazies et de distribuer des tracts.
Arrêté en 1942, un mois après les fusillés d’Auboué à la Malpierre, pour le sabotage du transformateur à l’usine d’Auboué, portant conséquence à l’exploitation minière.
Le tribunal allemand à Nancy a prononcé à son encontre, pour haute trahison, un an d’internement.
Dedo avait obtenu de bons résultats scolaires, certificat d’études et premier ordre, il est refusé d’entrée au centre d’apprentissage en tant qu’étranger. Il est embauché à 16 ans comme jeune ouvrier pour la cokerie à l’usine d’Homécourt. Son sérieux, son désir d’apprendre, il devient maçon fumiste à la satisfaction de ses supérieurs, il progresse et termine un peu avant la retraite agent de maîtrise, quarante ans de sidérurgie.
Il a adhéré à la CGT, devient délégué du personnel, membre du comité d’établissement. Actif, il est membre du bureau exécutif et assume avec beaucoup de précision la responsabilité de trésorier pendant une trentaine d’années, ayant aussi les mêmes fonctions a la mutuelle.
Le comité d’établissement lui confie la responsabilité de l’organisation des colonies de vacances dont il est animateur, charge dans la spécificité de changer de région tous les ans avec l’implantation de tentes pour une centaine de personnes, colons et encadrement. Il est également chargé avec une équipe de faire transporter 20 tonnes de matériel stocké a Homécourt. Avec une équipe de spécialistes différents, il effectue le montage, le démontage avant stockage. Étant moniteur, il était aussi avec formation, directeur de colonies de vacances.
Étant sportif, il était également ardent défenseur du basket-ball d’Auboué, en compétition en national, dont il est aussi un des joueurs.
Pour sa ville ouvrière qu’il aimait tant, qu’il n’a jamais quittée, il a été élu conseiller municipal pendant plusieurs mandats et adjoint au côtés du maire Jean Bertrand.
Il a aussi coopéré avec Paul Viard sur le recueil d’Auboué avec les amis de l’histoire dont il est membre.
À la CGT, il était de toutes les luttes, grandes et petites… Pour la sécurité au travail, il y avait un tué par mois (installations non conformes, pas de formation du personnel) avant d’obtenir des agents de sécurité et l’organisme coordinateur. Pour les travailleurs, la durée hebdomadaire de travail était de 56 heures et pour les feux-continus, travail du dimanche et 16 heures d’affilée toutes les trois semaines. Et bien d’autres revendications.
Nos actions par rapport à la casse industrielle nous a permis d’obtenir la préretraite à 50 ans. Cela concerne un nombre important de travailleurs, y compris de militants, je lançais le mot d’ordre : « la retraite, ce n’est pas le retrait ».
Dédo a contribué avec moi à la constitution du syndicat des retraites, en 1979, toujours en activité, ici présent avec son secrétaire jean Billon et la délégation CGT.
Par ailleurs, il a continué la poursuite du combat pour obtenir la reconnaissance des fusillés de la Malpierre. Enfin réussie par la rencontre FNDRP, monsieur le maire d’Auboué, Dédo et le ministre concerné.
Il y a lieu de noter sa présence régulière aux «amis de l’histoire d’Auboué », à la mutuelle, aux conférences dans les collèges et participant aux manifestations publiques et j’en oublie.
Dans le peu de temps qu’il lui restait, sa passion était devenue le jardinage et ses trois poules. J’avais d’ailleurs l’occasion de le rencontrer et d’échanger sur les problèmes du moment.
Michel et votre famille, vous pouvez être fiers du papa Dédo, personnage hors norme, militant exemplaire, il a donne du sens à sa vie bien remplie. Dedo, homme de bien, contre les injustices, pour la paix, la liberté, le bien-être des travailleurs, le vivre ensemble sa vie durant au service des autres. Il n’a pas été concerné par la citation : « ce n’est être bon a rien que n’être bon qu’a soi » (voltaire).
Il était pour « la réussite solidaire mieux que solitaire ».
Voilà tout ce qu’a été Dédo.
Le maire d’Auboué et ceux du secteur, la FNDRP, les résistants, leurs proches, la ville d’Auboué avec son association « les amis de la mémoire », le PC, la CGT avec beaucoup de regrets sont peinés de ne plus avoir le privilège de tes discussions et tes participations.
Dedo pour ce qui me concerne, tu me rappelais que nous avions eu le même parcours. En effet, j’ai été dans la résistance en retardant la marche des fours Martin en faisant dérailler la grue d’approvisionnement. Au bout de quelque temps, ils m’ont envoyé au camp de munitions de Mars la Tour. La, je sabotais les obus en mettant du. Sable dans la graisse des filetages des percuteurs. Après un contrôle, j’étais arrêté et enfermé dans une pièce de la villa attenante. J’ai sauté 4 m de hauteur par la fenêtre non munie de barreaux et par le fond de la cuve et les champs, je rejoignais mon domicile, je prenais mon fusil et je rejoignais avec les FFI la libération de Jarny. Ensuite, celle de Metz, jusqu’à l’occupation en Allemagne.
À ma démobilisation, j’adhérais à l’union des jeunesses républicaines de France à Auboué et nous élaborions les revendications de la jeunesse pendant la grande grève des mineurs et sidérurgistes de 1948. Ensuite, c’est toute notre participation ensemble à la CGT pour la vie syndicale et même avec les retraites qui s’est constituée après.
C’est donc pour moi une grande peine de ne plus avoir les moyens de se rencontrer et d’échanger ensemble.
Merci pour ta contribution efficace dans de multiples domaines, on te gardera dans le souvenir et dans nos cœurs.
Evariste VICINI, maire honoraire
Témoignage recueilli dans le cadre de la thèse intitulée “Les rafles allemandes en Meurthe-et-Moselle ( 1941— 1944) : Histoire et Mémoire” par Julie Drouot.
L’entretien fut réalisé le mardi 18 juillet 2017 après-midi, au sein du local de l’association Les Amis de l’Histoire d’Auboué, situé au 14 rue du Colonel Fabien.
Il commença à 14 heures pour se terminer vers 18 heures, et les propos du témoin furent recueillis uniquement à l’aide d’un ordinateur.
Informations personnelles
J-D : 1— Lieu et date de naissance
A-R : Je suis né ici, à Auboué le 26 janvier 1924.
J-D : 2 – Avez-vous toujours résidé à Auboué ?
A-R : Oui, j’ai toujours habité à Auboué.
J-D : 3 — Quel métier avez-vous exercé ?
A-R : J’ai fait plusieurs choses, mais j’ai été surtout maçon fumiste¹ à l’usine d’Homécourt pendant quarante ans.
Période antérieure à l’Occupation
J-D : 4 — Description d’Auboué
A-R : Avant l’Occupation, j’ai passé mon certificat d’études et mon premier ordre en 1937-1938 ici. J’ai quitté l’école à 14 ans et de l’âge-là jusqu’à 16 ans j’étais un adolescent sans travail. Il existait une tradition avec l’usine d’Auboué, où il y avait un centre d’apprentissage, et tous les ans le directeur de l’usine venait demander les 10 meilleurs élèves pour qu’ils y rentrent. J’étais dedans et majeur de ma classe avec mention très bien. Alors, on est convoqué à l’usine, le directeur nous reçoit début juillet, il nous explique qu’il a besoin de monde et qu’au centre après quatre ans on aura tous un métier et que nous serons embauchés à l’usine. Le 1er septembre 1938, tous mes copains sont convoqués sauf moi. Ma sœur a demandé des renseignements à l’usine mais on ne lui a pas donné de véritable raison. Vous reviendrez l’année prochaine ! L’année d’après, on me redit la même chose à l’usine. Ils notaient tout ! Quarante ans plus tard je fais ma demande de retraite, l’usine d’Homécourt n’était pas loin de la fermeture à l’époque. J’avais besoin de renseignements et de documents, alors je tombe sur une amie de ma belle-sœur qui était syndicaliste mais elle me répond : « Je n’ai pas le temps, prenez le dossier. » Une fois rentré, j’ouvre le dossier et je vois ma lettre de refus, plein de politesse avec de belles phrases mais qui ne donnaient aucune raison. Je n’ai jamais su pourquoi on ne m’avait pas pris, j’étais Français de nationalité italienne et à l’âge de 18 ans, je pouvais obtenir la nationalité française, mais Pétain avait supprimé le décret. Mes parents ne faisaient pas de politique, mon père était un travailleur … Et puis ici, c’était un milieu catholique mais moi je n’allais pas à l’église alors est-ce que c’était ça ou autre chose … Je n’ai jamais su. Il a fallu la déclaration de guerre pour que je rentre à l’usine. Puis, à la Débâcle il y a eu une fermeture de quelques jours puis on a repris le travail. Après, je suis allé à la cokerie² avec mon beau-frère.
¹ Maçon-fumiste : Construit, répare ou démolit les revêtements réfractaires et isolants des ouvrages soumis à de très hautes températures tels que pour les fours, les incinérateurs, les chaudières et cheminées industrielles (sidérurgie, métallurgie, verrerie, cimenteries, tuileries, …)
² Usine de transformation du charbon en coke et d’élaboration des produits qui en sont dérivés (goudron, benzol, naphtaline, huiles de goudron de différentes densités) + Stockage de résidus
A-R : Il n’y avait pas de voitures à l’époque, les marchands livraient en cheval puis en camionnette. Dans le monde du travail, les gens avaient des vélos et quelques-uns des motos. Pas de distractions si ce n’est le sport, une salle de cinéma et le dimanche les adultes pouvaient danser dans un ou deux troquets d’Auboué … et c’était pareil dans tous les environs. Une vie simple sans télé, radio, la TSF commençait tout juste … Jusqu’en 1938-1939, on n’avait pas d’eau et pas d’électricité dans les maisons des cités ouvrières. On avait pratiquement tous le WC extérieur. Toutes les maisons avaient un petit jardin et un champ comme appoint. Les salaires étaient plus élevés en usine que dans les autres professions mais on était pauvre quand même. Il fallait nourrir les bêtes, bêcher, …
On faisait souvent les vendanges en Champagne, une vingtaine de jours pas plus, les gens des cités aimaient bien y aller. Tout le monde se connaissait. On avait aussi des associations sportives : une équipe italienne patronnée par l’ambassade et une équipe française, mais dans les deux équipes il y avait un brassage, dans l’équipe française c’était des joueurs de bonne qualité donc il y avait souvent des joueurs de l’équipe italienne qui passaient dans l’autre. Il y avait une équipe de basket aussi dans laquelle j’ai joué de 1937 à 1948. Et puis des associations culturelles comme celle du théâtre, c’était un patronage avec le curé. 75% des habitants étaient des étrangers dans les cités, mais on vivait tous ensemble. Entre les enfants il n’y avait pas de problème mais pour les adultes français qui n’avaient pas été beaucoup à l’école ça arrivait qu’il y ait des mots durs comme « macaronis » par exemple.
Les loisirs dépendaient du fruit du travail. La cité était très religieuse et vivait comme elle pouvait, mais les Italiens quand ils sont arrivés étaient en premier des célibataires, le dimanche ils allaient faire la fête donc le lundi ça leur arrivait de ne pas venir travailler. Ils ne pensaient qu’à s’amuser et buvaient beaucoup, et puis il y avait moins de femmes que d’hommes alors les bagarres y en avait souvent. Au début du siècle, il y avait peu d’habitations et on passe de 500 habitants à un boom de population. On veut accueillir des hommes rangés puis leurs familles donc on va construire des logements. Ça se stabilise aux environs de la guerre de 14 au cours de laquelle il y a eu l’évacuation, alors les Italiens sont partis un temps puis ils sont revenus ici.
La première vague c’étaient des célibataires, la seconde c’était des couples : la première n’était pas très bonne mais la seconde était mieux car c’était des hommes avec leur famille. Et en 1922 c’est la troisième vague qui fuit Mussolini, donc des gens réfléchis avec de la culture.
Il ne fallait pas faire de vagues, même si on était en désaccord. Nos parents nous parlaient de Mussolini et ce qu’il avait fait donc on était motivés déjà, ils avaient connu les chemises noires. Nos parents jusqu’en 1936-1937 se taisaient, mais avec le Front Populaire des associations se sont créés comme les syndicats, et pour nous les enfants un patronage laïque a été créé : l’Enfance Ouvrière³. Pour contrebalancer le patronage catholique qui formait des ouvriers dociles et maniables, Mario Tinelli (adhérent du Parti Communiste) a créé le patronage de l’Enfance Ouvrière. Malgré son manque d’expérience, il pensait que les enfants devaient avoir une autre éducation. D’ailleurs, chez les enfants plus tard, on trouve ceux qui distribuaient les tracts et chez les sportifs on trouve les partisans (ceux qui ont été fusillés). Il y a eu un cheminement en quelque sorte, et c’était comme un tremplin les associations et les patronages. On chantait des chants révolutionnaires … nous sommes le produit de nos parents.
³ Cf Alfred ROSSOLINI, Résistance : Engagement d’une cité ouvrière Auboué 1936 -1945, Éditions Wotan, Nancy, 2016, p.35 (salut du Front Populaire)
J-D : 5 — Pour vous, comment se sont passé l’entrée en guerre et les premiers combats ?
A-R : J’étais trop jeune … mais je n’étais pas surpris. On entendait beaucoup parler d’Hitler, mais les jeunes d’une dizaine d’années étaient trop jeunes pour bien analyser ce qui se passait.
Période de l’Occupation
J-D : 6 – Étiez-vous présent lors de l’arrivée des Allemands à Auboué ?
A-R : Le 14 juin 1940 oui ! Mais pendant le début de la guerre et jusqu’à cette date, il y avait un régiment près de notre cité à Auboué avant la Débâcle qui campait dans une carrière et qui était très mal nourri avec la cuisine roulante qui leur donnait des pommes de terre et des haricots tous les jours, ainsi que des boîtes de « singe » (viande de bœuf). Ils étaient habillés en uniforme bleu, ils avaient des bandes molletières, ils étaient armés de fusils Lebel de la guerre de 1914 et ils avaient des chevaux. On les voyait les pauvres gars … et quand on a vu les Allemands : Tout le contraire ! Motorisés, des grenades, armés, des casques, des uniformes gris et des bottes. Mais attention, ce que j’ai dit ne vaut pas pour tous les Français, seulement ceux que j’ai vus. Entre le moment où les Français sont partis et l’arrivée des Allemands, les habitants se pillaient entre eux. Une fois les Allemands ici, ça a été terminé.
J-D : 7 – Pourriez-vous me décrire les forces en présence et leur nombre à Auboué ?
A-R : Les Allemands n’étaient que de passage à Auboué, ils défilaient mais y a pas eu d’occupation à la différence de 1914. Ils ont installé la Kommandantur à la mairie (emplacement actuel) puis ils ont tout regroupé à Briey avec la Kommandantur (à l’entrée de la ville), la Feldgendarmerie et la Gestapo (dans une villa). Ça a duré une quinzaine de jours pas plus. Ensuite, le maire a été désigné par la Préfecture et non élu.
J-D : 8 – Pourriez-vous me décrire la période de l’Occupation à Auboué ?
A-R : L’occupation était aux alentours, les Allemands n’étaient pas là mais ils étaient présents à Auboué. Tout de suite on a eu les consignes, les directives : on ne quitte pas Auboué, les feux doivent être éteints, les personnes en vélo doivent se déplacer deux par deux, tout le monde doit travailler. Les Allemands ont tout pillé : la nourriture et le peu qu’on avait … alors qu’on n’avait déjà pas grand-chose et bien là on n’avait plus rien. Tout était rationné et il fallait faire attention avec le marché noir car la première fois on avait une amende, la deuxième fois c’était un court séjour en prison et après ils nous emmenaient.
J-D : 9 – Comment se sont passés les rapports entre les habitants d’Auboué et les Allemands ?
A-R : Il y avait peu d’Allemands donc on n’en côtoyait pas beaucoup : un peu le dimanche au troquet. Il n’y a pas eu beaucoup de collaboration. Les quelques-uns qui l’ont fait, je ne vais pas dire qu’ils étaient gênés mais ils ne se faisaient pas remarquer. Certaines femmes ont flirté avec les Allemands et puis à la Libération elles ont été tondues. Les collaborateurs ont quitté Auboué lorsque les Allemands sont partis à la Libération. Les Français étaient discrets quand ils collaboraient, et puis les Italiens l’ont fait aussi mais eux ils le montraient davantage.
Le marché noir marchait bien ici et à Sainte-Marie-aux-Chênes qui était allemande. Il se faisait beaucoup avec la campagne et c’est de ce côté-là qu’on a été déçu car on n’était pas contents de l’attitude des paysans, nos parents échangeaient des cigarettes contre de la nourriture, mais ils ne donnaient pas plus que ce qu’il fallait. Les Allemands qui attrapaient les marchés noirs étaient directement arrêtés. Les contacts étaient lointains avec les Allemands. À la frontière il y avait des douaniers, ils vivaient là mais il n’y avait pas de relations profondes avec eux. Chez les Français, il y avait la mauvaise vision des Allemands. Les poilus étaient encore vivants donc ce n’était pas des Allemands mais des Boches » et avec eux on entendait dire de vilaines choses mais comme ils représentaient ¼ de la population ce n’était pas majoritaire. Les Italiens n’aimaient pas les Allemands puisque c’étaient des fascistes et des alliés de Mussolini.
J-D : 10 – Vous souvenez-vous d’un ou de plusieurs d’événement(s) qui vous aurait marqué durant la guerre ?
A-R : Il n’y a rien de particulier, on était trop jeune. On a réalisé que lorsqu’on était enfermé que les temps avaient changé, et comme on n’a pas été torturé … On était en France donc il n’y avait pas ce genre de choses. Non, rien ne m’a spécialement frappé.
J-D : 11 – Avez-vous un ou plusieurs souvenir(s) lié(s) aux réfugiés d’Alsace-Moselle ou aux étrangers à Auboué ?
A-R : Durant la guerre j’en ai vu un passer furtivement la frontière. Près des crassiers c’était facile de passer, Dante les attendait et les amenait à un passeur. On ne les voyait pas mais on savait qu’ils passaient. À Batilly, il y a eu énormément de passages, mais personne ne s’attardait à Auboué
Les rafles
J-D : 12 – Quelles catégories de la population ont été visées par les rafles avant eu lieu à Auboué ?
A-R : C’était les syndicalistes, les communistes et quelques notables parmi eux.
J-D : 13 – Quelles sont les dates de ces opérations ?
A-R : La première a lieu en février 1942, suite au sabotage de la nuit du 4 au 5. La seconde a lieu le 2 septembre 1944 après la mort d’un officier allemand.
J-D : 14 – Comment se sont déroulées ces opérations ?⁴ (heure, forces opérantes et nombre, déroulement avec les véhicules et les armes, lieu du regroupement, effectif des arrêtés, oppositions éventuelles, incidents)
A-R : Entre le 4 et le 5 février 1942 il y eut un sabotage, et le lendemain un policier allemand et un autre français commencent à enquêter. Ils ont l’intuition que les auteurs connaissaient l’usine où a eu lieu le sabotage. Le directeur de l’usine est interrogé, et il se trouve qu’il partage la conviction des deux policiers. Il donne alors les noms des personnes qui avaient été licenciées suite à un mouvement de grève en 1938.
⁴ Seules les grandes lignes sont évoquées, le déroulement complet des rafles ayant eu lieues à Auboué se trouve dans l’ouvrage d’Alfred Rossolini
A-R : À partir du 7 février et durant tout le mois, les arrestations se succèdent pour aboutir à la prise de 100 à 110 personnes. Le préfet Schmidt (anticommuniste notoire) avait gardé dans ses archives des dossiers sur beaucoup de personnes et notamment sur celles concernées par la grève de 1938. Elles sont présumées coupables, et se trouvaient en plus dans plusieurs associations. Le préfet remet les noms des responsables des associations qui étaient hostiles à Vichy. Parmi les personnes arrêtées, on trouve des notables. Nombre des arrêtés seront libérés par la suite. Après la série des arrestations, les Allemands placardent des affiches qui informent que 20 otages seront fusillés si les responsables du sabotage ne se désignent pas. C’est Hitler qui s’occupe personnellement de cette affaire, et un de son état-major lui précise qu’il vaut mieux déporter les 20 otages que de les fusiller. Pétain avait donné comme consigne qu’il ne fallait fusiller personne ni que le choix des victimes devait revenir au préfet, donc le préfet Schmidt va être plus malin et donner une liste plus importante contenant davantage de noms (70 à 100 noms) pour laisser les Allemands sélectionner les victimes eux-mêmes. On a ainsi les noms des licenciés des usines suite à la grève de 1938 donnés par les dirigeants, et les autres noms fournis par le préfet lui-même. Les otages sont envoyés à la prison de Nancy, Écrouves puis Compiègne. À Compiègne, les Allemands étaient méthodiques, ils attendaient d’avoir 1 000 personnes pour faire partir un convoi. Le 6 juillet 1942, le convoi part du camp avec des militants dont 21 personnes d’Auboué et d’Homécourt … sur toutes les personnes du département qui ont été déportées, peu reviendront. Les otages, les déportés et les fusillés ont tous un rapport avec le sabotage de février 1942, c’est la même affaire. Pour les fusillés, ils ont été arrêtés en mai et fusillés en juillet, le 26 ou le 27.
Le jour de la Libération, un Allemand est abattu et ça va mener à l’encerclement d’Auboué, c’est une frontière avec l’Allemagne à cette époque-là. Le 2 septembre 1944, vers 8 heures 30 un Allemand accompagné d’un sous-officier arrive à Auboué à bord d’un side-car. Un coup de feu est tiré et le sous-officier est touché, alors le side-car fait demi-tour et quitte la ville. Ceux qui se destinent à rejoindre les FFI à ce moment-là mettent les voiles. À 11 heures 30, les Allemands encerclent Auboué et arrêtent tous les hommes entre 17 et 70 ans, c’est la division Das Reich. À 18 heures, les Allemands présument que c’est Monsieur Pederzoli qui est à l’origine du coup de feu. On le prie de bien vouloir se rendre aux Allemands. Une personne attestera par la suite qu’elle avait vu l’homme sortir d’un couloir et lui expliquer que son arme s’était enrayée.
Le lendemain, le maire d’Auboué et le sous-préfet se rendent à Sainte-Marie-aux-Chênes pour négocier avec les Allemands la libération des 100 otages contre des prisonniers allemands, qui avaient été capturés dans les combats aux alentours de Briey. Ils se rendent ensuite dans le hangar de la ferme où étaient enfermés les otages et leur annonce la libération de 100 personnes d’origine française. L’après-midi, Pederzoli Dante se présente aux Allemands, il est jugé sur place puis pendu⁵. Tous les autres otages sont libérés alors que leurs familles étaient sans nouvelles d’eux, mais leur parcours devait logiquement les amener à Auschwitz En ce qui concerne les morts, il y eut 3 personnes d’Auboué qui furent massacrées car les gens ont eu peur et se sont sauvés après quoi ils furent abattus.
⁵ Voir le témoignage de Nello Spitoni
J-D : 15 – Étiez-vous présent au moment de ces opérations ?
A-R : Le sabotage a lieu entre la nuit du 4 au 5 février 1942. Le surlendemain je travaille de 6 à 14 heures et la Résistance décide de distribuer les tracts. Je fais partie de ceux qui s’en occupent, avec Narcisse Ippolito, qui a été fusillé le 29 juillet 1942. Alors, il est 6 heures du matin, on distribue les tracts et à la même heure les Allemands commencent les rafles donc j’ai eu de la chance de pas me faire prendre ce jour-là. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de neige … À la même heure, ils arrêtaient les otages dont mon beau-frère qui travaillait au même endroit que moi. Je ne l’ai su que l’après-midi par ma sœur, ce jour-là il n’est pas venu travailler … Pendant de nombreux mois les arrestations se faisaient de nuit, donc je n’ai rien vu ou presque mais qu’est-ce que j’ai eu de la chance … Aujourd’hui je réalise, mais pas sur le coup. Le 7 ils en avaient arrêté un bon paquet. La deuxième fois aussi j’ai eu de la chance. Quand ils ont arrêté les 300 le 2 septembre 1944, j’étais à Auboué et j’ai vu comment ils ont opéré, j’étais à la fenêtre et je voyais la rue de Metz. Auboué était une plaine, une colonne arrivait vers Coinville et une autre d’Homécourt, ils ont encerclé Auboué avec des fusils. Ils marchaient en encerclant la ville, armes à la main et rétrécissaient le cercle au fur et à mesure de leur avancée. C’était la division Das Reich, ils allaient dans toutes les maisons, et tous les hommes de plus de 18 ans devaient en sortir. À la maison, on était trois dont mon beau-frère qui avait fait la guerre d’Espagne. Un SS est rentré, ma sœur est sortie, le SS a dit que les hommes devaient sortir donc mon père est sorti et il a dit qu’il n’y avait pas d’autres garçons ici. On était caché à la cave … Cette rafle s’est faite dans la précipitation donc pas de listes pour arrêter des noms précis.
J-D : 16 – Quel(s) souvenir(s) en avez-vous gardé ?
A-R : Aucun en particulier.
J-D : 17 – Qu’avez-vous entendu sur ces opérations ?
A-R : En février quand les Allemands arrêtaient, beaucoup ne savaient pas ce qui s’était passé. Sans doute que certains savaient, c’est même sûr mais les échanges étaient à voix basse, et on en parlait sûrement plus dans les maisons qu’à l’extérieur. On peut parler d’indifférence, sans doute liée à la peur des représailles. On ne le criait pas sur les toits, il fallait se faire discret, il y avait une peur cachée mais personne ne l’avouait.
Les victimes
J-D : 18 – Aviez-vous des relations avec les personnes prises dans les rafles ?
A-R : J’en connaissais oui, même si j’étais jeune : mon beau-frère et Maurice Froment par exemple. La majorité je ne les connaissais que de vue, je les avais rencontrés durant la période du Front Populaire ou des fêtes. (février 1942)
Pour la seconde rafle, c’était les gens de mon quartier donc je les connaissais tous. (septembre 1944)
J-D : 19 – Avez-vous entendu des choses sur les personnes prises dans ces opérations ?
A-R : Il y avait des lettres anonymes, les gens dénonçaient des personnes qui n’avaient rien à voir avec la politique ou les sabotages … Par contre, de vive voix je n’ai jamais rien entendu.
J-D : 20 – Certaines des personnes prises durant ces opérations sont-elles revenues par la suite à Auboué ?
A-R : Pour la première rafle, presque personne n’en est revenu, mais la seconde presque tout le monde. Pour la deuxième, ils les ont gardés quelques jours pas plus. Mais concernant les rafles de 1942 contre les Juifs, eux ils ne sont pas revenus. Hormis ceux qui sont morts aux camps, tous les autres sont revenus je crois. Moi je suis passé devant le tribunal, mais je suis rentré avec mon copain polonais sauf qu’il est rentré en Pologne par la suite. Les autres, ils sont restés à Auboué où ils avaient leur travail et leur famille. En 2017, je suis le seul à être encore en vie sur ces affaires-là. Il reste Mme Schneider à Saint-Raphaël mais elle perd la tête, elle a un an de plus de moi. Tous les ans on fait une cérémonie à Sainte-Marie-aux-Chênes, il y a encore quelques survivants, 3 ou 4 mais de 1942 il n’y en a plus du tout.
Mémoire des événements
J-D : 21- Quels souvenirs reste-t-il de ces événements aujourd’hui ?
A-R : La ville d’Auboué est restée fidèle. De la Libération à aujourd’hui, les commémorations n’ont jamais manqué à leur devoir. Il y a 3 cérémonies par an dont une nationale⁶, comme à la Malpierre où on y va en bus chaque année. Le nombre de présents diminue tous les ans, à Auboué on doit encore être 70 environ. Pour les familles, il en reste encore quelques-unes mais leurs membres ont un certain âge, et puis le reste ce sont des personnes qui ont eu connaissance de l’affaire d’Auboué.
L’ouvrage (Alfred ROSSOLINI, Résistance : Engagement d’une cité ouvrière Auboué 1936 -1945, Éditions Wotan, Nancy, 2016, 125 pages) on en a vendu 300 ou 400 exemplaires donc bon nombre de personnes d’Auboué en ont un. Et pour entretenir la mémoire, on a tout utilisé : des conférences, un film, des diapos, une pièce de théâtre (Auboué 42), des poèmes, … d’ailleurs, comme presque tous les ans et encore l’année dernière, des collégiens de Sainte-Marie-aux-Chênes préparent des danses pour la déportation. Le film a eu beaucoup de succès, et le livre de Magrinelli⁷ il a dû se vendre à plusieurs milliers d’exemplaires. Et puis les livres de Cardon⁸ sont également très bien.
Les us et les coutumes s’imprègnent dans la population, c’est dans la culture de la ville et les mentalités que sont imprégnées l’histoire et la mentalité des générations antérieures. Il y avait de la solidarité, du travail ce sont des coutumes et une culture. On n’est pas des révolutionnaires, on est tous rentrés dans le rang mais même si on s’en est sorti mieux que nos parents on a cette culture. Je travaille bien, je ne fais pas de vague et je reste humain. Auboué est un fief populaire et antifasciste.
⁶ Aux mois de février et de juillet, les cérémonies sont organisées par Auboué pour le sabotage et les fusillés. Le dernier dimanche du mois d’avril, c’est la cérémonie officielle de la Journée du souvenir des victimes de la déportation.
⁷ Jean-Claude et Yves MAGRINELLI, Antifascisme et Parti Communiste en Meurthe-et-Moselle 1920 —1945, Imprimerie SNIC Jarville, 1985, 378 pages
⁸ Claudine CARDON-HAMET a rédigé Triangles rouges à Auschwitz : Le convoi politique du 6 juillet 1942 et Mille otages pour Auschwitz : Le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 »
J-D : 22 – En parle-t-on encore ? Si oui, est-ce lors de moments particuliers ?
A-R : On en parle occasionnellement, ce n’est pas un sujet dont on parle tous les jours. On en parle dans les cérémonies officielles et c’est surtout les personnes de 70 ans qui en parlent.
Des étudiants sont venus me rencontrer une fois dans le cadre d’un devoir, mais je ne sais pas s’il y a eu une suite. Ça me fait penser, une fois j’ai rencontré une classe, et quelques années après j’ai revu un de ces élèves, il était très content de me voir.
J-D : 23 – Existe-t-il des marqueurs mémoriels à Auboué pour servir la mémoire de ces événements et/ou de ces victimes ?
A-R : Ils sont dans mon livre, les monuments, le nom des rues sont des éléments du paysage quotidien donc ne lève pas la tête ou on ne les voit plus. Parfois on ne sait même pas à quoi ils correspondent.
Le chemin de mémoire de la déportation, on l’a mis en place : Auboué, Homécourt, Joeuf, Jarny, Conflans, Briey et Valleroy, il y en a 7. Et dans chaque ville on a mis un panneau où on explique la résistance et la déportation du village. On les a placé où on a considéré que c’était l’endroit le plus propice pour renvoyer aux événements de la résistance ou de la déportation. Les gens ne les regardent plus mais un jour les gens s’y intéresseront. Moi je suis fier qu’on ait fait ces panneaux-là. Ils ne peuvent pas être abîmés, la seule manière de leur porter atteinte c’est de les détruire …
Les Amis de l’Histoire d’Auboué est aussi un vecteur. À Homécourt ils ont une revue, à Joeuf ils ont un historien, à Moutiers il y a un habitant qui s’intéresse à la mémoire, à Jarny et Joeuf il y a le souvenir français qui est très actif et qui possède des documents.
Questions annexes
J-D : 24 – Connaissez-vous des personnes survivantes de ces opérations, témoins ou descendants de victimes ?
A-R : Oui, mais ce ne sont pas des témoins. Si vous voulez il y a le maire d’Auboué, c’est le neveu d’un fusillé. Il a 60 ans donc il n’était pas né, c’est un ancien instituteur.
Il y a aussi le fils d’un interné, il fait partie de la mémoire locale d’Homécourt avec sa femme : Évelyne et Biz Bentivoglio⁹, ils s’y intéressent beaucoup. Le neveu de Paci est toujours vivant. Certains ont été méchants avec lui car Paci était le meneur or toutes les personnes qui ont été fusillées étaient des fils. Paci a cité des noms en disant tout ce qu’il savait lors du procès, alors après il ne fallait plus en parler. Sa famille était montrée du doigt, et les autres familles n’ont pas voulu que son corps repose au monument des fusillés. Bien plus tard, les choses se sont calmées on a commencé à le citer mais pas comme mort pour la France, comme fusillé. Aujourd’hui cette mémoire n’est plus aussi noire car les témoins et les familles ne sont plus là.
Le boulanger qui s’occupait du passage des étrangers est décédé, et il n’avait pas de famille.
⁹ Biz Bentivoglio 10 rue des Bergeronnettes 54310 Homécourt — 03.82.22.65.28
A-R : Y en a sûrement qui ont dû dire qu’à Auboué les habitants auraient mieux fait de rester tranquilles, mais moi je ne l’ai pas entendu de vive voix.
J-D : 25 – Auriez-vous des documents, archives, photos liées à la ville, à la période de l’Occupation ou aux rafles et à ses victimes ?
A-R : Les principales sont dans mon ouvrage, on y a mis les meilleurs … mais à voir si on n’en a pas oublié quelques-uns.
J-D : 26 – Connaissez-vous des organismes à Auboué qui perpétuent la mémoire des événements ou qui pourraient m’aider dans mes recherches ?
A-R : L’association a des documents, ils sont tous regroupés ici et même si des photos sont passées à l’as dans les publications on les a ici.
J-D : 27 – Connaissez-vous des ouvrages en lien avec mon sujet ?
A-R : Il y a une revue locale qui est très bien fournie ou on parle souvent l’histoire du pays haut. Roger Martin est un professeur qui a écrit sur la déportation dans le pays haut, mais lui-même n’a pas été déporté. Il y a évidemment Jean-Yves Magrinelli sur la persécution des militants communistes de 1900 à nos jours où on y trouve l’affaire d’Auboué. Et puis Thomas Pouty¹⁰ qui a fait une thèse avec des témoignages importants, c’est l’affaire vue dans sa nudité avec la torture, la peur, la dénonciation.
Questions relatives à l’ouvrage d’Alfred Rossolini
J-D : 28 – Giobbi Passini et Serge Schneider sont-ils encore vivants ? (page 40)
A-R : Non, Serge est décédé il y a un an et Giobbi, qui avait quitté Auboué pour Fréjus, est également décédé.
J-D : 29 – D’où viennent ces archives ? (page 46)
A-R : Elles viennent de Pont-à-Mousson, c’est la même société mais ce sont deux archives différentes. L’arrestation des otages a fait beaucoup de bruit et les patrons en ont averti les plus hauts, c’est ce qu’on peut y lire. L’archive du bas a été retrouvée dans les archives d’Auboué lorsqu’ils ont tout brûlé, c’est un copain qui passait au même moment et il a pris les documents qui l’ont étonné.
¹⁰ Thomas POUTY, Lutte armée communiste et répression des polices françaises et allemandes : L’exemple du démantèlement des premiers groupes armés de Meurthe-et-Moselle, Communisme Revue d’Études Pluridisciplinaires, Annie Kriegel et Stéphane Courtois (dit), Éditions CNRS, CNL, Université de Paris X, Paris, n° 97/98, 2009, p. 25-51 + Thomas POUTY et Jean-Pierre BRESSE, Les fusillées : Répression et exécutions pendant l’Occupation 1940-1944, Éditions de l’Atelier, 2006, 197 pages
J-D : 30 – Le 31 août 1942 constitue-t-il une rafle de résistants ? (page 68)
A-R : Oui, c’est une arrestation des membres du réseau. Mais à la suite du sabotage, il y a eu énormément d’arrestations. À la suite de ça, au début tout du moins, c’était des arrestations et puis à partir du mois d’août on a été dénoncés. Ceux qui étaient soupçonnés d’avoir participé à un acte de résistance étaient pris. C’était souvent de la dénonciation, les personnes étaient tout simplement des cibles ! (page 76)
Pour ce qui est des Juifs, Françoise Job le reprend dans son ouvrage (celui sur Écrouves) en mentionnant le pays haut. C’était en 1942 ces rafles, entre le 8 et le 12 octobre.
J-D : 31— Les Rossolini présents dans votre ouvrage sont-ils des membres de votre famille ? (page 87)
A-R : Oui, Rossolini Torquato c’est mon père, et Rossolini Alphonse c’est son cousin.